Paper Scars (dessins)
Paper Scars (ou "Paper Scars - Vietnam Field Drawings") est une série de dessins de reportage produits par l'artiste Paul Poutre de juin à septembre 1970 au Vietnam.
Il s'agit d'une commande du magazine "Modern Living", qui avait adopté peu auparavant le reportage dessiné dans ses pages, ce dans la lignée du pionnier Shel Silverstein.
Les oeuvres, réalisées au crayon de couleur sur du carton léger, forment un témoignage inédit, poignant et coloré sur la découverte de l'Asie et de la guerre par de jeunes recrues qui n'avaient pour la plupart jamais quitté leur pays. Elles traduisent parfaitement le contraste entre la violence quotidienne à laquelle sont confrontés les soldats et la magnificence des paysages qu'ils traversent. Ces dessins fragiles, à hauteur d'homme, sont un parfait complément aux nombreux reportages écrits, livres et films témoignant de la guerre, et ont probablement joué un rôle historique important.
Se rendant compte rapidement que les carnets de croquis qu'il avait prévus ne supportaient pas la lourde humidité du climat, l'artiste adopte comme support le renfort cartonné du fond des boites de munitions, qui une fois plié tient dans sa poche de treillis.
Peu après la publication des dessins dans la revue, qui eurent un retentissement international [1], l'artiste songe à faire don de ce témoignage graphique important mais fragile à un grand musée national américain. Après les refus polis du MOMA, du Guggenheim, du National Museum of American History et même du National Veterans Art Museum, ce legs rejoint le fonds du "War Oddities Memorial Institute" de Sacramento.
Mariant conceptualisation et improvisation, naviguant entre approche à la OuLiPo (la contrainte) et à la Jackass (impulsivité, risque physique), on peut trouver dans cette pratique - interdite dans certains pays du Moyen-Orient - des échos au journalisme "embarqué" ou "Gonzo", à la littérature "beat" ou au free jazz, ainsi qu'à l'écriture spontanée des surréalistes. Il ne faut cependant pas la confondre avec celle des OuCroPiens (de l'Ouvroir de Croquis Potentiel), dont la démarche plus cérébrale ne requiert pas forcément la même intensité fulgurante.
Chaque année, les plus acharnés des Stunt Sketchers se retrouvent le dernier weekend de mai au Mexique, dans le désert de l'État de Sonora, quelques kilomètres au nord de la ville de Rayón, pour trois jours de surenchère graphique sous des températures pouvant atteindre 45° Celsius.
Exemples
Polémique : Un débat s'est ouvert en 2013 pour décider de si ces croquis de l'illustratrice Lynne Chapman, réalisés pendant une opération du pied sous anesthésie locale, entraient dans le champ du Stunt Sketching ou relevaient d'une contrainte trop "molle" et devaient simplement figurer dans le domaine de l'OuCroPo.
Historique
Suite à la demande du magazine "Modern Living" d'un reportage dessiné sur le conflit au Vietnam, Paul Poutre, alors résident à New-York, rejoint en juin 1970 le premier bataillon du 26ème régiment d'infanterie (première division), à la base de Long Binn, 19 km au Nord-est de Saigon.
Incorporé au même titre que ses camarades (avec l'arme en moins), il n'était équipé, en raison des contraintes du paquetage réglementaire, que d'une trousse imperméable contenant 10 crayons de couleur. C'est avec ce matériel spartiate qu'il va pendant 3 mois produire plus de 500 croquis (selon ses dires [réf. nécessaire] ), pour la plupart réalisés en quelques minutes, dont 226 ont pu être récupérés en bon état et répertoriés. Faute d'une date indiquée dessus, on les désigne par leur numéro.Aperçu
Croquis numéros 21, 27, 35
et 41, 104, 113
La naissance du Stunt Sketching
Selon les historiens de l'art et des sports extrêmes, le corpus Paper Scars est à l'origine d'un mouvement appelé "Stunt Sketching" (ou parfois "Extreme Sketching" ou "Gonzo Sketching"), consistant à réaliser des croquis dans des conditions difficiles voire extrêmes, nécessitant un investissement physique et mental important ainsi qu'une grande rapidité d'exécution. Ses disciples ont inventé toutes sortes de contraintes (climatiques, de durée, de mouvement, d'outil, de posture, d'états altérés...) aptes à rendre l'exercice du croquis plus "extrême", l'absence de confort amenant à court-circuiter le "joli dessin" au profit d'une forme plus spontanée.
On peut ainsi évoquer des dessins réalisés en marchant ou à bord d'un véhicule agité, faits de l'autre main, les yeux fermés, sous la neige, au milieu d'une fosse remuante en plein concert, etc... Ou encore tout croquis réalisé très rapidement (moins de 30 secondes), notamment de personnes ou d'animaux en mouvement. Après une phase intensive (1999-2004) de croquis dans le métro à Paris, Paul Poutre poursuit ce travail par de nombreux dessins de concerts, souvent de musiques improvisées. - Exemple : Concert de Keiji Haino au Carré Bleu le 27 mai 2011 (programmation Jazz à Poitiers).
On peut citer comme proches dans l'esprit les fameux Autoportraits sous drogues de l'artiste américain Bryan Lewis Saunders, héritier de Henri Michaux [2]
Notes et références
1. Le diplomate et prix nobel de la paix 1973 Henry Kissinger aura, dans le chapitre 27 de son livre Diplomacy (Simon & Schuster, 1994) ces mots au sujet de Paper Scars : "Après des années d'hésitations et de tergiversations sur ce qu'il fallait faire, c'est en feuilletant une revue de décoration intérieure que la lumineuse évidence m'est apparue, par le biais d'une série de dessins comme je n'en avais encore jamais vu (...) Assurément modernes mais également quasi rupestres dans leur exécution et dans leurs thèmes (les hommes, le combat, la survie), ces dessins nous ont aidés, au sommet de l'état, à prendre le recul nécessaire pour entamer notre désengagement en Asie.".
2. Voir Misérable Miracle (La Mescaline) - Henri Michaux, Éditions du Rocher, 1956.