TRAXION (exposition)


TRAXION est une installation conçue et réalisée par l'artiste Paul Poutre à l'occasion de la Fête de la Science 2015 et présentée à l'Espace Mendès France de Poitiers en octobre 2015.
Il s'agit d'une oeuvre qui se présente telle un exposé scientifique, rendant compte d'une prétendue mission spatiale dont le but est d'éclaircir un des mystères parmi les plus insaisissables pour la science : l'amour.

Face à ce mélange d'informations scientifiques et d'affabulations, le visiteur est amené à acquérir de nouvelles connaissances tout en exerçant son regard critique sur le storytelling et la vulgarisation scientifiques : qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est faux ?

Contenu

Expo TRAXION animationMécanisme Gros plan module foreur
Images : Vue globale de l'installation TRAXION + vue du mécanisme d'activation de la sonde (gif animé) + détail du module.

Par le biais de textes et d'images (puisant dans de véritables données scientifiques, astrologiques ou sociologiques), et d'une maquette interactive, est détaillée la mission TRAXION (Theorically Relevant Attraction X-ploration Investigating Orbiting Nucleus). Celle-ci, inspirée par la mission Rosetta, consiste en l'envoi d'une sonde à travers l'espace-temps pour analyser la comète lointaine 78-K et comprendre l'origine de la vie... et de l'amour.

L'installation est constituée de deux panneaux de présentation avec textes et images, et d'une maquette interactive avec réplique de comète et de module d'exploration, sous vitrine.
L'ombre de la comète sur le socle révèle un contour en forme de coeur, uniquement perceptible via l'éclairage plongeant (anamorphose).
Un interrupteur permet de mettre en mouvement le module de forage, qui "fait l'amour" à la comète.
Le mécanisme électro-magnétique a été réalisé par David Dreano.


Présentation (panneau 1) : "LA SCIENCE DE L'ATTRACTION"

INTRODUCTION : UNE FORCE UNIVERSELLE... ET PROBLÉMATIQUE

C'est une force universelle, intemporelle, qui frappe tous les êtres sans distinction d'âge, de classe, de genre ou de préférence sexuelle.
Mais l'attirance entre les individus, au coeur de nos vies et tant célébrée par les arts et les médias, n'a jamais bénéficié d'une explication scientifique satisfaisante.

Qu'est-ce qui nous séduit chez quelqu'un ? Comment choisit-on un-e partenaire ? La question mérite d'être posée sérieusement tant l'être humain est capable de l'irrationnalité la plus totale en la matière, parfois à son propre détriment et à celui de la société toute entière.
Car lorsque la personne élue est inaccessible, incompatible ou que le temps fait ses ravages, cela a de lourdes conséquences sur notre moral, notre bien-être, notre santé, nos relations sociales et notre productivité. Pourquoi l'Homo Sapiens, au cerveau et aux connaissances si développés, opte-t-il si souvent pour des amours impossibles, parfois jusqu'au drame (comportements à risque, obsession morbide, désociabilisation, familles déchirées, endettement, dépression, folie, suicide, chirurgie esthétique…) ?
La communauté scientifique (sociologues, anthropologues, psychologues, neurologues, sexologues, astrologues, œnologues) semble hélas avoir renoncé à résoudre cette question, qui concerne pourtant l'ensemble de la population, alors que d'autres coûteuses addictions (alcool, drogues, jeu, résultats sportifs) sont bien documentées [1].
Coût de l'attraction irrationnelle

À défaut de choisir pour nous la personne "idéale" (ce qui s'imagine mal dans notre société éprise de liberté individuelle), la science devrait pouvoir éclairer l'origine de nos comportements, afin d'en amenuiser l'impact et de "limiter la casse", notamment pour les populations les plus fragiles. Pourquoi cédons-nous à la force d’attraction de quelqu’un quand bien même tous les signaux sont au rouge, les obstacles innombrables, les contacts douloureux, voire le rejet par l’autre clairement exprimé ?

De nombreuses explications ont été avancées au fil de l’histoire, mais avec le recul, beaucoup de ces théories n'avaient pour but que de confirmer la domination masculine en place, de vendre des magazines, produits ou services, ou pour les plus pseudo-scientifiques relevaient d'un véritable neuro-sexisme réfuté depuis. Mais à l'arrivée, encore et toujours, toutes ces hypothèses bien trop théoriques ne résistent pas à l'observation concrète des comportements, qui est extrêment chaotique.
Heureusement, un chercheur américain a décidé de s’emparer de cette question, mettant au point une mission aussi ambitieuse qu’improbable, dont voici l’histoire.

UN DRAME RELANCE LA RECHERCHE

En 1995, le docteur Huey B. Downey, neurobiologiste à la tête du Salk Institute for Biological Studies de La Jolla (Californie), chercheur réputé pour ses travaux en matière de mapping cérébral, s'éprend d'une jeune chanteuse de 20 ans entendue dans un bar lors d'une visite à l'Institut Polytechnique de Kiev : Elena Tkachuk (voir photo). Pourtant âgé de 55 ans et marié depuis plus de 25, il développe une véritable obsession pour cette jeune femme, qui l'amène en quelques mois à quitter son travail, sa famille et son pays. Après avoir émigré en Europe pour suivre les tournées des bars de la chanteuse (dont la carrière peine à décoller), il se retrouve seul et ruiné. épris d'une femme qui l'ignore et dont il ne sait pas même prononcer correctement le nom. Il comprend au bout de 6 ans qu'il s'est fourvoyé et s'auto-mutile des deux dernières lettres de son nom, avant de se jeter dans la Desna. Sa tombe au cimetière de Kiev, au nom de "Huey B. Down", porte conformément à ses souhaits la mention "To E.T., forever".

Perplexe et furieux d'avoir vu son mentor perdre la raison et saborder sa carrière, le bras droit du professeur Downey, le Dr. Martin Portnam, décide de focaliser toutes ses recherches sur la compréhension de ce phénomène. Témoin privilégié du drame de son confrère grâce à de nombreux courriers, il dresse des analogies entre l'incapacité de celui-ci à analyser objectivement sa situation, dans un état de pensée illogique, et le comportement des particules dans le monde quantique, qui elles aussi outrepassent la logique classique : un objet peut y occuper deux positions à la fois, être dans deux états opposés, ou même interagir avec un autre objet distant de plusieurs kilomètres !

Archives photo Photos : Elena Tkachuk en 1995 (photo : Huey B. Downey) / Downey et Portnam, San Diego, 1969 (photo © Lambda Archives Of San Diego)


Présentation (panneau 2) : "PISTES QUANTIQUES / LA MISSION TRAXION"

DE LA PHYSIQUE À LA LOGIQUE QUANTIQUE

Portnam recherche en outre une force en jeu fondamentale, qui dépasse la psychologie et opère indépendamment du cerveau, de manière invisible. En 2001, se remémorant ses soirées en boite de nuit à San Diego avec le professeur Downey, Portnam repense aux reflets de la boule à facettes dessinant sur l'ensemble des danseurs une constellation de points mouvants. Cette vision provoque un déclic et l'amène à se pencher plus particulièrement sur les neutrinos, ces particules infimes mais omniprésentes dans l'univers, dont par exemple 50 milliards issus du soleil traversent votre corps à chaque seconde !

LA PHYSIQUE QUANTIQUE : QUATRE PHÉNOMÈNES
- PRINCIPE DE SUPERPOSITION
Avant une mesure qui tranche sur sa situation, un objet se trouve dans TOUS ses états possibles, à des probabilités variables.
- INTERFÉRENCE
Si une particule a des chances égales d’emprunter deux chemins devant elle, on considère qu’elle passe par les deux à la fois.
- OSCILLATION>
Une particule quantique peut “osciller” dynamiquement entre deux états indéterminés possibles.
- INTRICATION
Des particules “intriquées” le demeurent et fonctionnent comme un système global, même si elles deviennent séparées spatialement jusqu’à des kilomètres.

Issus du Big Bang, les neutrinos représentent un lien direct avec la naissance de l’univers. Leur masse est quasi nulle, leur charge neutre et leurs collisions avec les atomes rarissimes, mais Portnam réfute la bivalence vrai/faux et s'attaque au problème par le biais de la logique quantique.
Cherchant la "grande unification", Portnam met en relation le subatomique (particules quantiques, quarks…) et l'interstellaire. Des particules du Big Band circulent encore à travers l'espace, notamment prisonnières de comètes, et leur exploration pourrait permettre de goûter à la fameuse "soupe" primordiale de quarks et de gluons. Une manière de "remonter le temps" de 13,8 milliards d'années, jusqu'à notre lointaine origine. Et la source de nos attachements ? Il développe alors sa théorie dans un ambitieux ouvrage de 600 pages, In & Out of Ourselves: Unification of Particle Interaction Through Space and Time [2], dont le caractère singulier et intuitif ne l'empêche pas de convaincre des fonds privés et publics de le soutenir.

Particle interaction through space and Time, Downey
Schéma extrait de In & Out of Ourselves: Unification of Particle Interaction Through Space and Time - de M. Portnam (2002)

LA MISSION TRAXION

Portnam repère une comète pas trop distante et à l'attraction gravitationnelle idéale pour y envoyer une sonde : 78-K. Ironie du sort, le petit nom de celle-ci est "Elena", comme la jeune ukrainienne fatale à son collègue. Elle possède en outre deux particularités qui intriguent le savant : une chevelure (fine atmosphère de gaz et de poussières autour de son noyau) de taille très modeste, et une tendance inexpliquée à occasionnellement "disparaître des écrans", comme si elle faisait de petits bonds quantiques.
Décision est prise d'envoyer une sonde, "Downey", qui emportera avec elle un module d'exploration destiné à se poser sur 78-K : TRAXION (Theorically Relevant Attraction X-ploration Investigating Orbiting Nucleus). Parti en 2004, celui-ci s’est posé avec succès sur 78-K le 15 octobre 2014, et les premiers résultats, qui confirment des traces de nombreux composés organiques, sont en cours. Des analyses qui seront suivies avec grande attention par bien des individus concernés, malgré l’hostilité depuis le départ des milieux commerciaux et artistiques.
Le schéma ci-dessous récapitule les étapes de la mission.

DESTINATION 78-K : UN RENDEZ-VOUS DANS L’ESPACE ET LE TEMPS
Après un voyage de 10 ans et 7 milliards de kilomètres, le module TRAXION, emmené par la sonde Downey, a pu rejoindre et commencer à sonder la comète 78-K.

Le trajet de 78-K

Réception de l'oeuvre

Totalement intégrée au sein de l'Espace Mendès France, au milieu de véritables présentations scientifiques, TRAXION a atteint son objectif d'art-camouflage : beaucoup de visiteurs n'ont aucunement mis en question la véracité de l'exposé, pourtant par endroits franchement farfelu. Certaines personnes venues à l'EMF pour découvrir l'exposition ne l'ont même pas identifiée comme telle, repartant sans avoir "vu" l'oeuvre.
On peut en conclure que cette installation s'inscrit parfaitement dans la pensée de Poutre, gommant totalement la distinction entre succès et échec.

Notes et références

1. L'Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT) évalue par exemple en 2015 le "coût social" total de l'alcool et du tabac à 120 milliards d'euros chacun, et celui lié aux drogues illicites à 8,7 milliards.
2. In & Out of Ourselves: Unification of Particle Interaction Through Space and Time - Huey B. Downey, Éd. Blue Cheer, 2002.